Animation du site de la RMN sur le tableau de
Georges GROSZ,
Rue à Berlin peint en 1931 (huile sur toile conservée au Musée de Grenoble).
Contexte historiqueLa Première Guerre mondiale et la défaite allemande ont eu d’importantes conséquences politiques et économiques. D’une part, la chute de la monarchie en novembre 1918 et la proclamation officielle de la République de Weimar quelques mois plus tard n’ont pas réussi à étouffer l’agitation révolutionnaire, entretenue aussi bien par l’extrême gauche que par l’extrême droite et les formations militaristes. La guerre a fait place à une période de violents désordres intérieurs, en particulier à Berlin où se déroule la révolution spartakiste au début de l’année 1919. D’autre part, en 1923, la République de Weimar doit faire face à une crise économique très grave : l’Allemagne subit une inflation sans précédent, qui ruine des millions d’épargnants et marque durablement les esprits, tandis que certains industriels parviennent à s’enrichir durant cette période. Malgré le rétablissement de la situation économique et sociale dans les années suivantes, les inégalités sociales restent criantes, et le gouvernement est l’objet de critiques de plus en plus virulentes de la part non seulement des partis extrémistes, mais aussi des intellectuels qui disposent désormais de nombreux moyens d’expression, tant la vie intellectuelle et artistique s’est développée à Berlin.
Analyse de l'image
La satire sociale de Grosz.
George Grosz (1893-1959), dessinateur et peintre berlinois, a ainsi mis son art au service de la critique sociale. Mobilisé pendant la guerre, il revient en 1918 à Berlin, où il prend part à l’activité politique : il contribue à la fondation du mouvement Dada à Berlin en 1918, avant d’adhérer au parti communiste allemand, tandis que ses caricatures, très agressives, fustigent impitoyablement les représentants de la bourgeoisie et refusent d’offrir une image embellie de la réalité. Peinte en 1931, cette Rue à Berlin se distingue par la violence de son iconographie et de son style : dans cette scène de rue, Grosz dépeint la solitude de personnes issues de différentes classes sociales. Les bourgeois de l’époque, identifiables grâce à leurs vêtements typiques de la mode des années folles, à leur faciès porcin ou à leurs formes rebondies, côtoient le peuple, qui prend ici l’apparence d’une bouchère vue de dos, un tablier noué à la taille. L’Histoire fait irruption au milieu de la scène par le truchement d’une femme vêtue de noir, incarnation de la veuve de guerre, figure omniprésente en Allemagne où la Première Guerre mondiale a décimé toute une génération. Tous ces êtres humains errent dans la rue, sans que leurs chemins se croisent. En arrière-plan, de gauche à droite, une pancarte de gare ferroviaire, des étals de boucherie, un immeuble neuf entouré d’espaces arborés et une automobile rappellent que la scène se déroule dans la capitale allemande, symbole par excellence de la modernité. Ce tableau de Grosz, qui, par certains traits, se rapproche de l’art caricatural et fourmillant de Jérôme Bosch, s’en démarque néanmoins par sa facture : son caractère d’esquisse, ses coups de pinceau rapides et désordonnés qui évoquent les graffitis populaires, son absence d’effets de matière et la noirceur de ses tons inscrivent cette toile dans son époque. L’impression de morcellement, d’asymétrie et le chevauchement des plans sont à l’image de la frénésie et du chaos urbains.
Interprétation
La vie à Berlin dans l’entre-deux-guerres.
Latente dans cette œuvre, Berlin, qui fut l’objet de l’amour, des angoisses et de la haine de Grosz, a suscité les mêmes sentiments contradictoires chez les artistes qui sont venus s’y établir, la capitale allemande étant devenue le point de rencontre des avant-gardes européennes. Son essor extraordinairement rapide au XIXe siècle a contribué à lui forger une réputation de ville de « nouveaux riches ». L’enrichissement de la classe bourgeoise, qui coïncida avec l’accroissement du prolétariat dans les années 20 et 30, ne fit qu’accentuer les contrastes entre les quartiers riches et pauvres. Par ailleurs, Berlin fut longtemps le théâtre de sanglants combats de rue. Ainsi, la pauvreté sordide et le climat de violence qui régnaient continuellement à Berlin constituent-ils la toile de fond des œuvres réalisées à cette époque. Mais l’arrivée de Hitler au pouvoir le 30 janvier 1933 mit fin à toute expression artistique et entraîna la ruine de la civilisation berlinoise. Les artistes d’avant-garde qui, comme Grosz, n’avaient pu s’exiler aux Etats-Unis ou ailleurs, furent persécutés par les nazis, et leurs œuvres qualifiées d’« art dégénéré ».
Auteur : Charlotte DENOËL
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